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Billeterie

Tête à tête avec Lionel Lingelser

Petit, le comédien et metteur en scène Lionel Lingelser est marqué par une légende locale ; celle de deux jeunes garçons possédés par le diable. 150 ans plus tard, il mêle cette fable au parcours initiatique d’Hélios dans Les Possédés d’Illfurth. Pour cette nouvelle édition de la gazette de l’ECAM, il revient sur la genèse de sa carrière de comédien et sur ce spectacle qui rend hommage à ses racines.

Tu commences le théâtre à 10 ans. Qu’est-ce qui t’a conduit à la scène ? 

Je ne sais pas vraiment. Sans en être pleinement conscient, je pense que j’étais possédé par la scène dès l’enfance. Dans le spectacle, je raconte ma première audition à 10 ans. Alors en CM2, je découvre une annonce pour le club théâtre et décide de m’y rendre. À l’époque, je suis un petit garçon qui se déguise, se travestit chez lui mais qui reste très introverti et timide à l’école. Ce jour-là pourtant, une force va me pousser à tenter ma chance et à embarquer pour le voyage de ma vie. Quelques années plus tard, elle me poussera à quitter mon Alsace natale pour Paris et à faire de cette passion mon métier. 


À la sortie du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, tu fondes le Munstrum Théâtre. Quelle liberté créative, la compagnie t’a-t-elle offerte ? 

Au-delà d’une liberté créative réelle, la compagnie m’a offert un refuge, un espace d’expression inégalé. En sortant du conservatoire, je suis parti en tournée avec Omar Porras et Olivier Letellier. Ces 4 années de voyages, de rencontres et de jeu ont été incroyables mais très vite j’ai senti un besoin grandissant de me créer un espace de réflexion, de soupape. Au fil de ma formation et de mes diverses expériences de comédien, je me suis entouré d’artistes avec qui je partage un amour pour un théâtre physique, masqué, profondément irrévérencieux et populaire. C’est avec eux que j’ai fondé le Munstrum Théâtre, une véritable famille artistique. Le spectacle met en parallèle deux histoires, l’une vieille de plusieurs siècles, celle des petits possédés d’Illfurth, et l’autre terriblement contemporaine, celle d’Hélios, librement inspirée de ta vie. Quel dialogue as-tu souhaité engager entre-elles ? Le point de départ de cette création était mon envie de raconter l’histoire des possédés d’Illfurth. Quand j’ai commencé à travailler avec Yann Verburgh sur le texte du spectacle, je lui ai beaucoup parlé de mes souvenirs du village : la ferme de mon grand-père où les possessions ont eu lieu, la chapelle burnkirch où j’ai fait mes pires bêtises mais surtout où l’exorcisme a été pratiqué. Ces faits datant de 1865 étaient finalement naturellement entremêlés à mon histoire. À partir de ce constat, il fallait trouver la bonne manière de les raconter. Je ne voulais pas refaire ce qui avait déjà été fait au cinéma avec L’Exorciste, ni faire du sensationnel à la Arturo Brachetti en faisant voler des objets sur scène. Cette mise en parallèle avec mon parcours personnel nous a poussé à nous poser un certain nombre de questions : en 2021, qu’est-ce que c’est qu’être possédé·e par un autre individu ? qu’être dépossédé·e de soi-même ? que posséder quelqu’un ? Faire dialoguer ces deux époques, nous a permis d’inscrire notre propos dans le présent et d’interroger le thème de la possession dans tout ce qu’il peut avoir de contemporain.

Qu’est-ce que c’est qu’être possédé·e par un autre individu ? qu’être dépossédé·e de soi-même ? que posséder quelqu’un ?


Tu as confié l’écriture de cette histoire intime à Yann Verburgh. Était-ce pour toi une évidence ? 

À tous les niveaux, oui. D’une part, je savais que si j’étais à l’écriture, je manquerais de recul et injecterais trop d’affect dans cette fresque. Il fallait que quelqu’un s’empare de mon histoire pour la raconter à ma place. Je souhaitais jouer donc il était plus simple de m’approprier les mots d’un auteur que les miens. D’autre part, j’avais découvert le travail de Yann Verburgh à l’occasion d’une lecture à la Comédie Française de son texte Ogres. J’avais été bouleversé par son oeuvre, qui est de loin l’une des plus belles que j’ai entendues sur la tolérance, l’amour et la violence de notre monde. Lorsque le projet des Possédés d’Illfurth s’est dessiné, j’ai donc tout
de suite pensé à lui.


Quelle relation entretiens-tu avec le théâtre masqué ? Pour quelle raison avoir « tombé le masque » cette fois-ci ? 

Plus jeune, je percevais le masque comme une discipline poussiéreuse. En tout cas, c’est l’image que le milieu dans lequel j’évoluais me renvoyait. Finalement, c’est au conservatoire que cet objet s’est révélé à moi. À cette
époque, j’étais cantonné à des rôles de jeunes premiers alors que je rêvais de jouer le méchant, de devenir un autre en me travestissant. Là où j’étais contraint par mon apparence de gentil garçon, le masque m’a ouvert à mon moi le plus profond mais aussi à une toute nouvelle palette de personnages. Grâce à lui, je me suis senti plus libre. Le pari de ma compagnie c’est aussi de donner à voir sur scène des individus marginalisés, qu’on ne montre pas usuellement. Dans Lucrèce Borgia, Victor Hugo écrit « Ayez pitié des méchants, vous ne savez pas ce qui se passe dans leur cœur ». Cela ne veut pas dire qu’il faut justifier toute l’horreur de notre société mais qu’on doit donner à chaque personne la chance d’être visible et d’être aimé. Pour Les Possédés d’Illfurth, pour moi, c’était évident que ce spectacle ne serait pas masqué. J’incarne une quinzaine de protagonistes sur scène donc, sans que le masque soient physiquement là, il l’est d’une autre manière. Depuis mes débuts de comédien, j’ai acquis un bagage qui me permet de m’en défaire plus facilement tout en conservant la même technique de jeu. Pour cette création, je me suis beaucoup inspiré du travail de Philippe Caubère, un théâtre réduit à son plus simple appareil. Néanmoins, cela ne m’empêche pas de rendre hommage au théâtre masqué dans le spectacle à travers une scène de travail où j’aborde tout le cheminement de la construction d’un personnage.


Pour la création des Possédés d’Illfurth, tu as puisé ton inspiration dans le folklore alsacien. Ses croyances continuent-t-elles aujourd’hui de nourrir ton imaginaire ? 

Dans cette question, je retiens le mot « croire ». J’ai grandi dans un village mérovingien peuplé d’ondines, de fées, de déesses celtiques. Élevé par une maman un peu ésotérique, ce folklore a bercé toute mon enfance. Nous nous guérissions avec des pierres précieuses, nous purifions les maisons de leurs fantômes… D’une certaine manière, ce spectacle est un hommage à cette terre que j’ai quittée pendant plusieurs années avant d’y installer ma compagnie. Je connais et comprends ses habitants et il y a 10 ans j’ai été pris par cette envie de leur raconter des histoires à mon tour. En juillet dernier, j’ai joué le spectacle à Illfurth devant ma famille et toutes ces personnes qui m’ont connu petit garçon. À la fin de la représentation, une femme m’a dit « Tu as réécrit l’histoire ». J’ai trouvé cela très beau. Il y a quelques mois encore, lorsqu’on cherchait sur internet « Les Possédés d’Illfurth », on tombait sur le destin tragique de deux enfants. Aujourd’hui, en choisissant de proposer ma version des faits, on découvre désormais quelque chose de flamboyant, de joyeux et de résilient. Les Possédés d’Illfurth c’est finalement, avant tout, un hymne à la vie, à l’innocence.


Interview issue de la Gazette n°2, à découvrir en intégralité par ici.