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Billeterie

Tête à tête avec Guillaume Le Pape

Vous l’avez peut-être déjà vu dans l’une des créations des compagnies Dos à deux, Hippocampe ou Troisième Génération… En clôture du Festival Temps de Pleine Lune dédié aux arts du geste, le comédien Guillaume Le Pape présentera son premier spectacle en solo. Après plusieurs années au sein de collectifs artistiques, il prend son envol avec Sweet Disaster, une création audacieuse et très cinématographique. Aux frontières de plusieurs disciplines artistiques, la pièce suit la trajectoire d’un homme en plein tourment, prêt à tout quitter pour s’offrir une nouvelle vie.

Sweet Disaster est ta première création en tant qu’auteur, metteur en scène et interprète. Comment as-tu vécu cette expérience créative inédite ?

J’ai vécu cette expérience de manière très contrastée. Je me suis senti chanceux de pouvoir expérimenter tant de nouvelles choses. Pour la première fois, j’étais le seul responsable et je devais être sur tous les fronts. Devoir jongler avec toutes ces casquettes a été parfois très éprouvant. Néanmoins, le plaisir de voir aboutir le spectacle a aisément contrebalancé ces moments plus difficiles. Et surtout, j’ai eu la chance d’être entouré de précieux collaborateurs et collaboratrices à toutes les étapes de la création. Dès le départ, je savais que Sweet Disaster serait un seul-en-scène et que j’en serais l’interprète, j’avais besoin de me confronter à ça. Pour l’écriture du spectacle, j’ai donc décidé de partir de moi. Le personnage porterait mon prénom et aurait la même famille et les mêmes ami.es que moi. Je me suis servi de vrais messages laissés sur mon répondeur par exemple. J’ai également demandé à mes proches d’enregistrer des sons et ai profité de mes voyages pour en en collecter d’autres, afin de rendre plus réelle son errance. Au fur et à mesure, une autofiction s’est écrite. Pour cette pièce, j’ai également pris en charge la création sonore. Ce temps hors plateau, à enregistrer des sons, à les sélectionner et à les monter, a été un fil rouge qui m’a permis de prendre régulièrement du recul sur ce que je proposais sur scène.


 "Dès le départ, je savais que Sweet Disaster serait un seul-en-scène et que j’en serais l’interprète, j’avais besoin de me confronter à ça."


La musique a une place centrale dans l’univers presque « cinématographique » que tu déploies sur scène. Pourquoi ?

Pour moi, l’univers sonore d’un spectacle doit avoir un pouvoir dramaturgique. La lumière est tout aussi importante à mes yeux. Ils ne doivent pas être accessoires ou seulement accompagner le texte ou la gestuelle, mais être partie prenante de l’histoire que nous tentons de raconter. C’est en tout cas, ce que j’ai souhaité pour Sweet Disaster. Je pense que cela est lié à mon parcours entre cinéma et théâtre. Enfant, j’étais déjà passionné par le cinéma. Adolescent, le théâtre s’est imposé dans ma vie, sans pour autant que mon amour de l’image ne disparaisse. J’ai poursuivi mes études à l’université jusqu’à l’obtention d’un Master 2 en Arts spécialité Cinéma, tout en préparant un CAP de projectionniste en parallèle. Quand j’ai pris la décision de créer ma compagnie, il était évident que ces deux arts, que j’ai toujours pensé complémentaires, se rencontreraient. Comme mon imaginaire se nourrit de l’univers de la série TV et du cinéma, on retrouve forcément un certain nombre de références dans mon spectacle. Ce travail du son et de la lumière en est une.



Le spectacle associe les arts du mime et de la manipulation à la danse et au théâtre. Te décrirais-tu comme un artiste protéiforme ?

C’est sans doute une question de génération. Aujourd’hui, nous sommes ouverts à un nombre illimité de pratiques artistiques différentes. J’ai eu la chance d’avoir un parcours jalonné de rencontres qui m’ont amené à découvrir plusieurs disciplines. Comme je suis parti de moi pour la création de mon premier spectacle, cela signifiait avoir à disposition tous ces outils que j’ai appris à apprivoiser. L’indicible, le sensible, s’exprime de diverses manières en fonction du médium artistique choisi : la danse, la manipulation, le texte… Certaines personnes sont plus réceptives à l’un plutôt qu’à l’autre. Faire dialoguer ces disciplines entre elles contribue à élargir le spectre des sensations et des émotions ressenties par le personnage, et j’espère par les spectateurs et spectatrices.

"Face aux injonctions de notre société, chacun·ne peut développer un désir « d’effacement » à différents degrés."


Tu as choisi d’aborder sur scène la question de la disparition volontaire. Comment t’est venue cette idée ?

Elle m’est venue d'une cabine téléphonique. Pendant des années, elle a fait partie du mobilier urbain de nos villes. Je trouvais déjà à l’époque qu’elle avait un pouvoir cinématographique exceptionnel. Aujourd’hui encore, elle est régulièrement utilisée au cinéma ou à la télévision comme décor. Cela tient je pense à plusieurs de ses spécificités. Elle se situe entre le public et le privé. C’est un espace clos où des discussions intimes peuvent avoir lieu, à la vue de tous·toutes. Ensuite, elle permet de connecter deux êtres, deux temporalités, deux localisations. Dans Sweet Disaster, elle devient un espace entre passé et avenir qui va hanter le personnage que j’interprète. Enfin, son éclairage singulier, au néon, la rend visible et esthétique quelle que soit la météo ou l’heure de la journée. Quand j’ai appris que les cabines téléphoniques allaient être enlevées, j’ai sauté sur l’occasion d’en acquérir une. La disparition d’un objet aussi commun, d’une manière si subite et sans que cela suscite un certain émoi, m’a inspiré la thématique du spectacle. J’ai également pensé à ces sans-abris pour qui ces espaces étaient devenus des refuges. Les faits divers relatant des histoires de disparition volontaire m’ont aussi interpelé. Comment en vient-on à souhaiter partir en laissant tout derrière soi ? Mais surtout, est-il encore possible, aujourd’hui, de disparaître de cette manière ? Enfin, j’ai également été marqué par la lecture du livre Disparaître de soi, une tentation contemporaine du sociologue David Le Breton. Il y défend l’idée que, face aux injonctions de notre société, chacun·ne peut développer un désir « d’effacement » à différents degrés.

Après plusieurs années à travailler sur ce premier projet, que projettes-tu pour la compagnie dans le futur ?

Je souhaite que ce premier spectacle continue de rencontrer le public. J’envisage également de faire évoluer ce qui aura été proposé sur scène en court-métrage. La concrétisation de ce nouveau projet me permettra d’explorer un peu plus encore cette thématique et les possibles de cet objet. À plus long terme, je crois que j’aimerais revenir au collectif pour ma prochaine création tout en continuant d’explorer et de questionner l’intime.

 Interview issue de la Gazette n°5, à découvrir en intégralité par ici.