La Tribune d'Emmanuelle Bayamack-Tam
Depuis les années 90, les romans d’Emmanuelle Bayamack-Tam sont traversés par la question du trouble dans le genre et du travestissement. Avec la pièce À l’abordage !, l’autrice offre une revisite du Triomphe de l’amour, audacieuse et en phase avec une société en pleine mutation. Quelles libertés a-t-elle pu s’autoriser avec ce texte classique pour le moderniser ?
Clément Poirée m’a contactée pour ce projet car il trouvait qu’il existait une symétrie intrigante entre mon dernier livre, Arcadie, et l’œuvre de Marivaux. Alors que le premier décrit le fonctionnement d’une secte fondée sur l’amour libre, Le Triomphe de l’amour raconte exactement l’inverse, une micro communauté dans laquelle le désir et la mixité sont proscrits. Pour À l’abordage !, l’idée était de parvenir à faire dialoguer ces deux histoires. Au départ, j’ai marché dans les pas de l’auteur. J’ai conservé des répliques, repris la distribution, le découpage en actes et en scènes mais ai délaissé l’histoire de succession et de subordination qui existait entre les personnages. À mes yeux, le trouble dans le genre était déjà présent dans le texte original. Il fallait l’analyser, l’interroger, l’approfondir. Choisir de travestir deux jeunes fillesen garçons pour leur permettre de pénétrer une société qui les rejette, cela ne pouvait être innocent. Quant à Arlequin, j’en ai fait un personnage non-binaire et pansexuel, ce qui me semble conforme à sa vocation de trublion. Enfin, s’agissant d’une comédie classique, je ne pouvais conclure autrement que par un mariage. Il était évident pour moi qu’il ne s’agirait pas d’une union hétéronormée mais plutôt d’une célébration LGBTQIA+. Tous ces choix ont été accompagnés par un travail minutieux des costumes par Hanna Sjödin que je tiens à saluer. Elle n’a pas hésité à aller puiser dans Arcadie pour certains protagonistes, ce quim’a beaucoup touchée et qui a terminé de lier ces deux œuvres entre-elles.
Tribune issue de la Gazette n°4, à découvrir en intégralité par ici.